Au-delà des aléas et à-coups conjoncturels, le marché de la gestion d’actifs peut compter sur de puissants moteurs structurels qui favorisent l’épargne (évolutions démographiques et vieillissement de la population) pour trouver les ressources nécessaires à sa transformation. La profession ne relâche pas ses efforts pour innover et s’adapter, avec pour objectif de répondre de façon toujours plus pertinente aux besoins et attentes des investisseurs, institutionnels comme particuliers. Cette mutation suit deux tendances : les modèles généralistes qui entendent tirer parti de la consolidation à coup d’acquisitions et qui confortent leurs expertises internes et ceux qui ont fait le choix de la spécialisation et/ou hyper spécialisation sur les segments les plus porteurs (fonds décarbonation et industrie 4.0 en 2024, fonds santé et numérique quelques années plus tôt). Voici ci-dessous quelques exemples concrets pour illustrer et expliquer la/les transformations opérées par les sociétés de gestion en France.
La finance durable est omniprésente depuis plus de 15 ans et a clairement changé de dimension[1] dans l’écosystème du capital investissement. Elle s’infuse en particulier depuis 2019 [2] via de nouvelles pratiques dans toutes les classes d’actifs y compris dans le non coté. La majorité des acteurs du marché dispose désormais d’un socle, d’une approche et d’outils pour mesurer l’impact, au sein des entreprises investies, des plans mis en place avec le management des cibles en matière ESG.
Même si certaines sociétés de gestion de type entrepreneurial restent encore en retrait sur ce sujet, la situation a considérablement évolué en réponse aux contraintes réglementaires et aux demandes de coopération des investisseurs, notamment institutionnels.
Désormais la promesse de valeur doit s’appuyer sur le triptyque rendement, risque et durabilité. En outre, il n’est plus rare de constater ici ou là que des fonds allouent un % du carried interest des équipes de gestion à une fondation, rétrocèdent un %[3] de la plus-value réalisée par leurs fonds aux salariés lors de la cession de l’investissement, etc.
[1] création de la commission ESG au sein de France Invest en 2009 [2] cf. travaux de la commission ESG de France Invest, notamment le Guide des recommandations pour faciliter le dialogue entre GPs et LPs paru en octobre 2019 et mis à jour en janvier 2021 ainsi que le Livre blanc – RSE & Création de valeur dans le capital investissement de septembre 2024 [3] dispositif prévu par France Invest dans sa charte de partage de la valeur
Le marché français est en pleine phase de mutation, très actif en matière de diversification, avec à la manœuvre tous types de fonds français et étrangers consolidant qui scrutent le marché d’un oeil très attentif du fait d’un nombre de GPs de plus en plus concernés par un adossement.
La diversification passe par 3 axes majeures : diversifier son offre, renforcer sa structure et s’internationaliser (cf. notre article « Marché du capital investissement en France »). Pour les GPs, les logiques de diversification se résument ainsi :
La diversification de l’offre passe le plus souvent par une croissance externe et/ou l’intégration d’une équipe existante au sein d’un autre acteur qui procède à un spin-off. Citons à titre d’exemple la prise de contrôle du fonds Kurma Partners par Eurazéo en septembre 2021 et quelques mois plus tard l’intégration d’une équipe Infrastructure issue de Margerite au sein de Eurazéo également.
Pour renforcer leur structure, les GPs font le plus souvent appel à un actionnaire de référence, stable et minoritaire, qui, en plus de prendre une participation en equity, s’engage à seeder les fonds successeurs et/ou le fonds constituant un nouvel axe de développement pour la société de gestion. Plus récemment, sont intervenus en France d’autres acteurs dit « GP-stakers » (cf. notre article précité) qui vont accroître ces mouvements de marché par une accélération des opérations de M&A sur les sociétés de gestion elles-mêmes dans tout l’espace européen y compris en Angleterre.
Le développement international demeure une des priorités pour un grand nombre de gérants français à l’image de la diversification sectorielle détaillée ci-dessus. Citons à titre d’exemple les fonds français ouverts à l’international les cas d’Ardian (Asie), de Tikehau (USA), d’Eurazéo (Canada) et de Capza (Allemagne, Italie et Espagne) qui, selon les cas, ont procédé par implantation directe (Ardian, Tikehau, Capza) ou mise en place d’un partenariat local (Eurazéo) ou encore croissance externe (Seven2, Italie). Cette diversification géographique permet de mieux ventiler les risques mais aussi de répondre à de nouvelles opportunités / demandes :
La digitalisation de l’activité des sociétés de gestion et en premier des processus de back & middle offices et/ou du parcours de souscription d’un investisseur est réellement en marche depuis quelques années. L’automatisation de la production de l’information financière et des contrôles afférents bénéficient également des nouvelles technologies et de l’Intelligence Artificielle (IA).
Toutes ces avancées sont amenées à transformer l’industrie très rapidement.
L’ensemble du marché est concerné et en premier lieu les prestataires de services qui doivent disposer d’un product mix liant le service, en termes de ressources et de savoir-faire, à la technologie et aux outils innovants tout en gérant la sécurité des données personnelles des investisseurs. Les investissements à réaliser au sein des back & middle offices sont en cours mais ces projets sont surtout très compliqués à gérer en termes de ressources (disponibilités en jours / hommes d’implémentation) tant en interne au sein des sociétés de gestion qu’en externe chez les prestataires de services qui doivent de plus rester vigilants au niveau du ROI de leurs investissements.
S’agissant de la branche investissement, les prises de participation réalisées par les fonds dans les technologies de pointe (cybersécurité, IA générative) sont en forte progression, notamment dans certains segments du private equity, notamment le capital innovation ou le growth. Ces fonds qui investissent dans les nouvelles technologies font face à de nouveaux standards et aux niveaux de valorisation élevés des tranches A, B et C et/ou growth qui ralentissement le rythme des investissements / de désinvestissements tant que le contexte macro économique ne se sera pas amélioré.
Ces fonds se tournent vers les autres secteurs comme les solutions d’industrie 4.0, le numérique, les objets connectés, etc.
Alors qu’en début de cycle 2013-2023 les fonctions liées au back & middle offices étaient largement externalisées auprès de prestataires[1] notamment pour les principaux first time fund / team de la période 2010-2020, toutes les sociétés de gestion ont connu en fin de cycle 2013-2023 un très fort accroissement et continu de leurs actifs sous gestion ; et, naturellement, se sont dotées de moyens humains importants pour structurer leur organisation i) en Relation investisseurs, ii) puis en Direction financière, iii) par la suite en Compliance et Regulatory et enfin iv) désormais en Contrôle financier.
L’industrie ayant quadruplée en 10 ans, ce phénomène d’internalisation devrait perdurer sur les prochains millésimes des fonds successeurs notamment si les actifs sous gestion ne diminuent pas.
Un mouvement inverse d’externalisation pourrait voir le jour mais à la condition que ces opérations dit de lift-out n’impactent pas les processus opérationnels existants dans un environnement devenu hyper régulé et hyper compétitif pour stabiliser les ressources qualifiées et opérationnelles à ces postes.
[1] 70% en moyenne en 2011 selon une enquête réalisée par l’AFG « Les emplois dans la gestion pour compte de tiers », Cahiers de la gestion du 2 septembre 2011
Le segment « retail » correspond désormais à une nouvelle typologie d’investisseurs au même titre que les family offices dont il est très proche ou encore des fonds de fonds (cf. notre article « Marché du capital investissement en France »).
Aujourd’hui, le retail est encore loin d’avoir concrétisé tout son potentiel car il reste à ce jour avant tout d’un marché d’offre.
Demain, ce marché du « retail » bénéficiera des problématiques liées aux besoins de financement de la retraite, sujet régulièrement replacées à la Une de l’actualité à chaque projet de réforme.
La classe « alternative » dans son ensemble peut donc compter sur de puissants moteurs structurels pour continuer de croître :
Le fonds dits « alternatifs » continueront donc de croître : capital investissement, infrastructure et immobilier concentrent depuis plusieurs années déjà une large part des demandes d’agrément adressées à l’AMF ; et/ou de se restructurer pour constituer des géants de l’Asset Management à l’image des acteurs suivant des stratégies de croissance externe (Tikehau, Eurazéo, Wendel) décidés à élargir rapidement leurs expertises et compétences en intégrant des verticales (sociétés entrepreneuriales et autres).
Les fonds dits « cryptoactifs », de « blockchain », de la « finance décentralisée », de « cybersécurité », lés aux « NFT » sont peu nombreux mais existent.
Ils s’invitent marginalement dans les portefeuilles des particuliers et des institutionnels. Les offres sont à ce jour principalement portées par des acteurs indépendants et dédiés à une clientèle professionnelle. Les gérants sont le plus souvent des indépendants et spécialistes. Bpifrance suit une initiative en réalisant des investissements dans des fonds spécialisés de l’univers du web3 (cf. notre article « Bilan de 10 ans d’intervention de la BPI … »).
Les fonds français prennent généralement la forme de FPS (Fonds Professionnels Spécialisés) qui investissent dans des supports spécifiques (digital assets), volatiles ou non. Ce segment de marché est très restreint avec selon les statistiques AMF quatre fonds lancés en 2022 (aucun en 2023). Les projets existants visent à suivre une approche de long terme, non spéculative et basée sur le développement de projets technologiques.
A noter que des gérants leaders expérimentent la technologie blockchain dans la distribution de fonds avec pour double objectif d’accroître leur efficacité opérationnelle et d’améliorer la connaissance client. Ces systèmes restent toutefois pour l’heure dans l’attente d’une monnaie numérique des banques centrales pour permettre le dénouement des opérations et concrétiser tous leurs effets.